Je reçois la « Note de veille » n° 131 de 2009 (avril) du Centre d’analyse stratégique, un organisme de plus de l’organisation gouvernementale qui, on le sait, n’en est pas avare (http://www.strategi.gouv.fr), note intitulée « Les entreprises de taille intermédiaire : un potentiel d’innovation à développer ? ». J’apprends que ces « ETI » sont désormais « dotées d’un statut officiel » et elles doivent, à ce titre je suppose, bénéficier d’un milliard d’euros de prêts supplémentaires pouvant être garanti par Oséo, autre officine nouvelle de l’action économique dite « stratégique ». Sont définies comme ETI les entreprises comptant entre 250 et 5000 salariés, caractéristique qui leur donnerait, semble-t-il, des capacités particulières d’innovation et un dynamisme supérieur. Cependant, poursuit le rapporteur qui ne redoute pas l’auto-contradiction, « le comportement d’innovation des ETI demeure mal connu » (sic)….
La suite de ma lecture m’apprend que « la création d’un Mittelstand français est devenue une préoccupation politique majeure » et que « l’objectif fixé par le Président de la République (est) de doubler le nombre d’entreprises de plus de 500 salariés d’ici à 2012 ».
Rien de tout cela ne fait sens, à part sans doute le point d’interrogation figurant dans le titre de la note.
En effet la définition de la catégorie en question ne repose sur aucun fondement économique sérieux : pourquoi pas les entreprises employant de 100 à 1500 salariés ? Ou de 500 à 3000 ? Ou encore … etc. Pourquoi faudrait-il alors doubler leur nombre d’ici à 2012 plutôt que le tripler, le quadrupler ou de le diviser par deux ?
Robert Lucas, Nobel d’économie, a montré jadis (« On the size distribution of business firms », The Bell Journal of Economics, 1978) qu’il était certes très improbable que les entreprises bénéficient de fortes économies d’échelle: les travaux en la matière montrent plutôt que les rendements d’échelle sont constants, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’avantage d’efficacité dans la taille elle-même. Dans ces conditions le véritable avantage qu’apporte la plus grande dimension c’est le pouvoir de marché qu’elle autorise à l’égard du consommateur, sur lequel on peut alors prélever une rente de monopole (ou de quasi monopole). Une politique anti-trust qui réduit la dimension des plus grandes firmes et leur pouvoir de marché est alors indiquée car elle ne présente pas d’inconvénients en termes d’efficacité dans la production (les plus petites firmes sont tout aussi efficaces que les plus grandes), mais par contre ces dernières, ne pouvant pas exploiter un pouvoir de monopole ou une influence politique indue, améliorent le niveau de vie des consommateurs. Ainsi, écrit Lucas, « even a clumsy strategy of opposition to mergers and forced dissolutions will lead to beneficial or at worst, harmless, results.”
J’ai montré de plus, dans un livre déjà cité sur ce blog et dans une recherche en collaboration, que la récente révolution de l’information et de la communication (postérieure aux données qu'utilise Lucas dans son article) promouvait l’avantage de plus petites firmes en général en favorisant la réduction de la dimension moyenne, pour toutes les classes d’entreprises.
Dans ces conditions la meilleure politique de la dimension ne peut consister à favoriser telle ou telle dimension particulière, parce que rien ne démontre que la distribution optimale de la dimension des firmes doive présenter un pic particulier pour telle ou telle classe spécifique. Mais comme seules les plus grandes ont la possibilité de disposer d’un pouvoir de marché économique, mais aussi d’un pouvoir considérable sur le marché politique, ce sont celles dont il faut réduire la dimension en priorité.
Les politiques "Mittelstandiennes", qui ne reposent que sur l’imitation irraisonnée découlant de la supériorité alléguée de l’économie allemande, sont ainsi:
a) Fondamentalement injustifiées (pourquoi pas les 600-700 ?).
b) Compliquées et peu efficaces, parce que la complexité des bonifications financières réduit à peu de choses l’avantage qu’elles présentent pour l’entreprise, notamment parce qu’elles ne présentent aucune garantie de durée.
c) En contradiction avec toutes celles qui favorisent les plus petites firmes, et avec tous les appuis politiques qui favorisent la croissance des très grandes, ou encore avec les dispositifs d’aides visant à créer, nous dit-on, des « champions européens », à l’ancienne.
Bref, c’est le genre d’intervention qu’adore Bercy, qui ne comprend jamais la notion de prix ou d’avantage relatif : donner aux uns comme aux autres (« saupoudrer » en d’autres termes), cela revient à ne pas choisir de politique et à ne rien changer, ou presque, dans le meilleur des cas.
J’écris « presque » parce que, au passage, le volume total des interventions publiques a bien changé, en plus, et a donné aux fonctionnaires plus d’emplois pour eux-mêmes et plus de pouvoir sur la machine économique. « Presque » également, parce que le développement de la machine administrative et des subventions se fait au détriment du contribuable, donc au détriment de l’emploi et de la croissance.
Il y a en réalité une solution beaucoup plus simple et mieux fondée pour développer de plus petites entreprises: laisser les plus grandes faire faillite, ou les laisser réduire spontanément leurs dimensions, au lieu de leur apporter systématiquement des aides d’Etat, et pousser au contraire à leur fragmentation par une politique de la concurrence agressive et digne de ce nom.
Cela au moins ne coûtera pratiquement rien au contribuable. Bien au contraire, cela supprimera à la fois des usages inefficaces de ressources en capital et en travail dans les entreprises, et le coût des multiples bureaucraties publiques destinées à subventionner telles et telles catégories d’entreprises clientes.
Ce ne serait pas nouveau objectera-t-on, et une autorité de la concurrence existe déjà. Mais on peut encore, la concernant, se référer à ce que disait Louis Armand à propos du comité Rueff-Armand, créé – en principe - pour intensifier la concurrence et supprimer ainsi les obstacles à la croissance : « nous étions partis pour chasser l’éléphant, mais on ne nous a autorisés qu’à tirer le lapin ».
Les éléphants eux – et le mammouth – sont toujours bien là, et ce ne sont pas quelques milliards de plus pour une catégorie intermédiaire évanescente qui vont les mettre en péril.
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