Les économistes keynésiens avaient ironisé sur les « recettes vaudou » des économistes de l’offre, lors de la présidence Reagan, qui prétendaient accroître les recettes fiscales en diminuant les taux d’imposition. Aujourd’hui c’est au tour de Robert Barro (professeur à Harvard) de qualifier en ces termes les prescriptions de politique économique des démocrates postulant l’existence d’un fort effet multiplicateur des dépenses publiques sur le niveau du produit national. Dans un court article paru ce mois-ci dans Economists’ Voice (www.bepress.com/ev), il critique la conception extrême de ceux qui se focalisent sur l’insuffisance de la demande globale en période de récession, et pensent qu’une dépense publique supplémentaire de 1 trillion de dollars va augmenter le PIB de 1,5 trillion, ce qui est semble-t-il l’hypothèse de travail de l’équipe Obama.
Barro rappelle que pour obtenir un effet multiplicateur plus modeste de l’ordre de 1, il faut déjà que les dépenses publiques supplémentaires ne réduisent en rien la consommation ou les investissements existant. Remettant en activité – par hypothèse - du travail ou du capital qui étaient jusque là inutilisés, la construction de routes ou de matériel militaire supplémentaires n’aurait, dans ce cas, aucun coût social. Un multiplicateur supérieur à 1 suppose, au surplus, qu’il y aurait également in fine davantage de consommation et d’investissement en biens et services privés, sans doute à cause de la distribution supplémentaire de revenus aux agents qui précédemment étaient au chômage ou conservaient leur épargne en liquidités.
Il faut donc supposer que les décideurs privés, consommateurs et entreprises, enfermés dans leur pessimisme, n’ont pas su comprendre que toutes ces ressources inemployées pouvaient servir à produire des biens et services effectivement vendables.
On peut soutenir, il est vrai, que les agents privés, se découvrant appauvris par la chute massive du prix des actifs, limitent leurs dépenses, et qu’une augmentation de leur pouvoir d’achat courant, par l’impact temporaire de la politique monétaire, ne puisse suffire à compenser la baisse de patrimoine (immobilier particulièrement) qui affectera, elle, durablement leurs revenus dans toutes les prochaines périodes. C’est en effet le patrimoine (ou le « revenu permanent ») qui détermine la consommation, et non pas le revenu courant comme l’ont montré Milton Friedman et Franco Modigliani.
Mais d’un autre coté il est peu probable que la construction de nouvelles routes ou d’avions de combat permette d’employer beaucoup d’agents immobiliers ou de spécialistes des produits financiers dérivés, qui se trouvent au chômage. Elle va au contraire débaucher des personnels spécialisés dans les travaux publics et des ingénieurs de l’armement qui eux avaient un emploi. Le multiplicateur des dépenses publiques serait alors négligeable.
Au total, Barro estime à partir de ses vérifications statistiques effectuées sur plusieurs épisodes de conflits (Première et deuxième guerres mondiales, Guerre de Corée, Guerre du Vietnam) que le multiplicateur des dépenses publiques indépendantes de la conjoncture courante est de l’ordre de 0,8.
Et pour l’obtenir il préfère à des dépenses d’Etat dont l’utilité n’est pas évidente et dont la mise en œuvre exige du temps, des réductions d’impôt qui ont l’avantage de laisser aux agents privés le choix des consommations ou des investissements qu’ils jugent les plus utiles.
L’argument n’est pas sans mérite, mais il ne faut pas écarter non plus la possibilité que ces consommateurs privés se sentent suffisamment appauvris pour ne pas dépenser les revenus supplémentaires qu’ils tireraient des allègements fiscaux, et préfèrent les épargner. Dans ce cas la dépense publique présente un avantage sur l’allègement fiscal.
J’ajouterai une autre considération en faveur de la première. En période de forte chute de la valeur des actifs, et en particulier des actions, le coût des fonds pour les investisseurs privés a augmenté : il leur faut payer plus en dividendes pour lever un montant donné de capital que ce n’était le cas dans la période de bulle des prix. Par contre, le coût des fonds, pour l’Etat, n’a guère varié. Les épargnants sont plus demandeurs d’obligations publiques jugées moins risquées que des actions ou des obligations d’entreprises privées.
De ce fait l’Etat est temporairement en meilleure position pour investir, à moindre coût que le privé (et donc aussi pour nationaliser). Il est ainsi mieux placé pour augmenter, au moins temporairement, l’investissement. Il le fera certes au prix de nombreux gaspillages voire de malversations (comme le montre l’exemple de ce qui s’est passé dans les programmes américains de reconstruction de l’Irak). Mais c’est un inconvénient qui vaut également pour les dépenses privées comme on l’a constaté au cours du boom des investissements d’avant la crise financière et la récession actuelle.
Quel choix de politique macroéconomique faut-il alors préconiser ?
Après que le refinancement massif des institutions financières (politique monétaire) ait évité l’effondrement en cascade qui aurait reconduit les économies sur la trajectoire dépressive de 1930, il n’est pas absurde de soutenir aujourd’hui l’activité par des dépenses publiques et par des allègements fiscaux, sachant que les dépenses privées vont rester nécessairement frileuses pendant quelques temps en raison de la baisse des patrimoines et de l’augmentation des risques.
Il ne faut pas s’attendre à ce que la demande privée reparte rapidement, compte tenu des mauvais achats et des mauvais investissements qui ont été faits au sommet des bulles d’actifs et dans la période récente de forte croissance (aux Etats-Unis tout au moins, l’Europe n’ayant pas bénéficié de cette conjoncture faste). Il faut du temps pour que ces investissements erronés s’amortissent dans les comptes individuels et d’entreprises. Dans l’intervalle, l’investissement public - qui sera en partie gaspillé - servira cependant à éviter que la récession ne soit trop marquée. Après tout il va y avoir des chômeurs inactifs et des capitaux non investis. Dans ce contexte, même un effet limité de 0,8 présente un intérêt. Cependant deux considérations militent pour une intervention successive dans le temps, d’abord d’un allègement fiscal, non pas sur le capital mais sur le travail, et ensuite seulement, si besoin est encore, d’une dépense publique directe. Cette dernière ne devrait intervenir qu’en dernier ressort, si la récession devait s’aggraver et se prolonger, ce qui n’est pas encore une évidence en ce début de 2009 qui n’est aussi que le début ou la première partie de la récession.
Ainsi, l’allègement de la fiscalité du travail étant indispensable en tout état de cause dans une perspective de moyen terme, il suffirait à lui seul si la récession s’avérait « normale » par comparaison avec ce que nous savons des précédentes. C’est ce qui semble pour l’instant rester le cas le plus probable. Il serait temps, dans l'intervalle, de préparer plus soigneusement un programme de dépense publique à mettre en oeuvre si le cours de la récession déviait de la normale et se prolongeait en s’aggravant. Il s’agit en somme d’adopter une stratégie de riposte graduelle.
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