Le gouvernement français n’est pas le seul à voler au secours des banques, imitant en cela l’initiative de Gordon Brown en Grande-Bretagne. Et effectivement, la plupart des économistes en étaient venus à la conclusion que le problème du secteur bancaire, suite à la chute des prix immobiliers puis de tous les actifs de placement, n’était pas tant de liquidité (soluble par des ouvertures de crédit) que de sous capitalisation (qui appelait par conséquent une reconstitution des fonds propres). Une infusion de capitaux publics n’était donc pas contre indiquée dans ces circonstances.
Mais la particularité française est que cette intervention justifiée - sous réserve d’un examen critique de ses modalités - s’accompagne de commentaires à fortes connotations idéologiques qui proclament la fin du capitalisme, ou à tout le moins de retour au premier plan de l’Etat et des politiques interventionnistes et « industrielles », résurgences du corporatisme bureaucratico-affairiste qui faisait les beaux jours du pompidolisme puis du mitterrandisme. C’est la revanche inespérée du « tout politique » et du « tout-Etat » sur les libéralisations partielles de ces dernières années. Le conseiller du Président, Henri Guaino, ainsi que la plupart des socialistes en font des gorges chaudes, de même que la droite majoritairement adepte du capitalisme d’Etat (également baptisé social-démocrate ou « rhénan »).
On peut voir cependant une tout autre logique dans cette renationalisation partielle. En particulier si l’on s’appuie sur la théorie des conditions économiques positives (et non pas idéologiques ou normatives) de la privatisation et de la nationalisation (mon article de 1993 dans Public Choice, «Nationalization, Privatization, and the Allocation of Financial Property Rights », ainsi qu’un papier de recherche plus récent, avec Edouard Pérard , « Why privatize ? A competition for ownership approach », Association française de finance, décembre 2007). En un mot, la propriété des entreprises peut aller soit aux investisseurs privés soit à l’Etat, les uns comme l’autre étant intéressés par les flux futurs espérés de bénéfices, qui constituent l’objet même de leur compétition, soit pour s’enrichir, soit pour alimenter les dépenses et subventions qui confortent, auprès de diverses clientèles électorales, l’assise politique des gouvernements.
Ce qui fait qu’à un moment donné les uns sont prêts à payer davantage que les autres pour obtenir la propriété de ces bénéfices espérés, c’est la différence de coût des fonds pour ces deux types d’investisseurs : pour les investisseurs privés les sources de fonds sont la dette d’une part, et les actions de l’autre ; pour l’Etat ce sont la dette d’une part, et les impôts de l’autre. Celui des investisseurs qui a le plus faible coût moyen de ces fonds estime logiquement à un prix supérieur le flux de bénéfices attendu d’une entreprise donnée. La valeur d’un flux de revenus est en effet le montant de ce flux actualisé par le coût des fonds empruntés nécessaires à son achat.
Des vérifications empiriques de cette théorie, effectuées sur plusieurs pays et plusieurs années (voir les références ci-dessus), ont montré qu’elle correspondait plutôt fidèlement aux évolutions observées. Dans les dernières années c’est la privatisation qui a dominé, ce qui veut dire que le coût des fonds pour les investisseurs privés était plus faible que pour les Etats.
Or que vient-il de se passer ? Les actions, sur les principales places mondiales, ont perdu entre 30 et 60 % de leur valeur depuis leur sommet du début de l’été. A supposer même que les flux de bénéfices futurs des entreprises soient restés inchangés, cela signifie que le coût du capital actions (le ratio des bénéfices au prix des actions) a beaucoup augmenté. Cette évolution pénalise donc les acheteurs privés d’entreprises qui doivent verser davantage de bénéfices pour obtenir un moindre apport en capital que précédemment. Par contre rien n’a changé pour l’instant dans le coût de financement des Etats. Par suite les investisseurs privés sont plutôt vendeurs de leurs actions, tandis que les Etats sont en position d’acheter à meilleur prix qu’eux. La propriété doit donc se déplacer des privés vers les Etats, sur la simple base du calcul économique et à préférences idéologiques inchangées. Et d’autant plus que du coté de l’endettement, l’accroissement du risque dans toutes les économies se traduit par une prime de risque accrue des obligations privées sur les obligations publiques. Ce qui renforce encore l’écart de coût des fonds entre les privés et l’Etat, en faveur de ce dernier.
La renationalisation partielle des banques n’annonce donc pas la fin du capitalisme, ni le retour de l’étatisme : elle répond simplement au calcul économique rationnel des divers types d’investisseurs qui s’ajustent sur un nouvel équilibre de propriété (temporaire).
Et cette constatation ne remet pas en cause les critiques que j’ai formulées précédemment dans ce blog à l’encontre des modalités françaises de l’opération, qui consistent à recapitaliser les banques sans demander de sacrifice aux actionnaires privés, en place précédemment, qui continueront à être les seuls bénéficiaires des profits de leurs entreprises, ainsi recapitalisées …gratuitement.
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