Dans un article intitulé « France to sell morality to the markets » le correspondant parisien du Financial Times résume (édition du 2 janvier) l’initiative conjointe de Nicolas Sarkozy et de Tony Blair qui organisent la semaine prochaine à Paris une conférence des leaders politiques pour renforcer les fondements éthiques du capitalisme. Avec en prime la participation annoncée de plusieurs prix Nobel d’économie sous l’égide d’Eric Besson, secrétaire d’Etat chargé de la prospective et de l’évaluation des politiques publiques. Ce dernier fait porter la responsabilité de la crise à la « sécuritisation » trop élaborée de la dette, à l’effet de levier excessif de la finance, aux ventes à découvert, à le demande irréaliste de rendements trop élevés sur les placements, et au défaut de perspective à long terme pour privilégier le court terme qui fait de la Bourse un casino.
On retrouve ici la liste habituelle de tous les vieux arguments socialistes, que l’on croyait enfin discrédités, sur le « court-termisme » et la responsabilité des techniques de financement de marché, arguments qui impliquent que les gouvernants, eux, savent mieux. Il serait cruel de rappeler le nombre de cas de scandales et de gaspillages massifs qui ont entaché les investissements publics et les subventions à l’économie administrée dans les dernières décennies. Mais n’oublions pas que les marchés ouverts et l’Etat sont des concurrents dans l’entreprise de distribution et de canalisation des ressources financières. Il ne faut donc pas s’étonner du caractère récurrent des critiques adressées à un concurrent redouté.
L’on serait curieux cependant de connaître les moyens par lesquels les « valeurs morales fondamentales » pourraient être restaurées dans les esprits, à supposer évidemment que cette conversion éthique puisse effectivement modifier les comportements communs. Que n’y avait-on pensé plus tôt ! Il faut reconnaître cependant qu’un diagnostic du même genre avait été formulé lors de la crise financière asiatique à la fin des années 90, certains dirigeants américains stigmatisant alors la responsabilité des « valeurs asiatiques » (encore un concurrent !) qui dévoyaient le capitalisme. On voit aujourd’hui ce qu’il est advenu de telles qualifications sans fondement analytique.
Mieux inspiré sur un point particulier, M. Besson souligne la nécessité d’un meilleur contrôle des dirigeants d’entreprises. Et une réflexion sérieuse est certes nécessaire sur les modes de rémunération et le problème dit « d’agence » dans les grandes organisations hiérarchiques. N’attribuer que des primes en cas de succès aux gestionnaires sans qu’ils aient à subir de pénalités sérieuses en cas de pertes pousse à l’acceptation de risques inconsidérés. C’est un bon sujet de réflexion pour les économistes financiers et d’entreprise. Mais là encore on pourrait se demander pourquoi les multiples autorités de contrôle qui sont censées justement encadrer et vérifier les pratiques économiques et financières privées n’ont pas initié de telles recherches et pourquoi en général elles ont failli à leur mission. Est-ce que cette expérience malheureuse peut nous rassurer beaucoup sur la vertu supérieure des organisations administratives ? On ne dit pas assez en effet que les dysfonctionnements actuels sont ceux non pas d’un capitalisme intégralement libéral, mais d’un capitalisme très largement administré et encadré. Si faillite il y a c’est tout autant celle des administrations publiques que des entreprises privées, les marchés en tant que tels ne faisant que traduire dans les échanges les comportements des uns et des autres. Cette ligne de réflexion ramène inexorablement aux analyses du défunt George Stigler sur les limites des autorités de contrôle et leur éventuelle « capture » par ceux qu’elles sont censées réglementer. On aimerait par conséquent que M. Besson commandite également des travaux sur les manquements des administrations dites « de régulation » (en français « de réglementation ») dans la crise.
Quand aux propositions concrètes, leur mise au point risque de s’avérer laborieuse. Le ministre cite l’initiative française du G20, qui n’a porté à ce jour aucun fruit notable, et l’accession à la présidence américaine de Barack Obama qui devrait « créer une extraordinaire fenêtre d’opportunité », comme des atouts majeurs. Un non résultat en somme et une promesse non encore réalisée. Une bonne occasion de tester la validité de la capacité créative des politiques quand on sait, comme le souligne M. Besson, que l’idée de réglementation sonne toujours bien aux oreilles françaises. On peut alors légitimement craindre l’excès de court-termisme des régulateurs à qui l’on donnerait champ libre alors qu’ils ont déjà échoué à signaler les périls et n’on rien vu venir des difficultés actuelles.
No comments:
Post a Comment