Tranchant sur le galimatias de commentaires de toutes sortes – partisans, philosophico-psychanalytiques, politico-sociologiques, si chers à notre intelligentsia -- à propos de la chute de popularité de Nicolas Sarkozy depuis l’élection présidentielle, un éditorial du Financial Times en date du 17 mars fait le point en termes clairs et lucides. Selon l’auteur c’est le président lui-même qui est responsable de la dissipation de son capital politique: « Sarkozy’s slump is of his own making ». Elle serait le résultat d’une double maladresse, son attitude à l’égard du niveau de vie des Français, d’une part, et l’exhibition excessive des avatars de sa vie privée, ainsi, pourrions-nous ajouter, que d’une surexposition médiatique quotidienne qui ne peut, passé un premier effet de surprise, que lasser une opinion qui espérait beaucoup plus de cette frénésie d’activité. Les rendements décroissants affectent également la communication, comme la production.
Le premier point ne fait que confirmer le constat de la théorie économique de la politique : la motivation principale de l’immense majorité des individus (et électeurs) reste la possibilité de satisfaire leurs besoins, quels que soient ces derniers, matériels, spirituels ou culturels. Et cette possibilité de satisfaction est mesurée, plus ou moins rigoureusement certes mais de façon généralement acceptée, par le niveau de vie qui est le niveau de revenu défalqué de la hausse des prix de la période. C’est ce qu’avait montré le lauréat Nobel d’économie George Stigler dans un article de 1973 (« General economic conditions and national elections », American Economic Review, may 1973), démonstration que j’avais pu vérifier peu après sur le données politico-économiques de la France : l’évolution des conditions macroéconomiques détermine pour une large part les résultats électoraux (« Conditions économiques et élections : une analyse politico-économétrique, 1920-1973, avec D. Amson, Revue française de science politique, 1976).
En termes plus terre-à-terre c’est ce que confirmait le slogan affiché dans le QG de la campagne victorieuse de Bill Clinton contre George H.W. Bush en 1992 : « It’s the economy, stupid ! » Autrement dit « surveille ton économie si tu veux gagner les élections ».
Or Nicolas Sarkozy, qui avait promis qu’il serait le « président du pouvoir d’achat », a soudainement renié cette promesse dans son discours de janvier par lequel il reconnaissait au contraire ne rien pouvoir faire, et surement pas vider les coffres publics qui étaient déjà à sec.
Il faut noter aussi que le tourbillon des réformes annoncées n’incluait aucune mesure significative susceptible d’infléchir (vers le haut) la trajectoire de l’économie française, ni en politique budgétaire, ni en politique monétaire ou de change, et pour cause puisque ces deux dernières ne relèvent plus, depuis 1999, du gouvernement de la France. Il s’agissait, dans la quasi-totalité des cas, de réformes consistant à « faire de la politique », c’est-à-dire à mettre en œuvre des redistributions de richesses, et non pas destinées à favoriser une création de nouvelles richesses. C’est la principale faiblesse de la politique actuelle, que les Français n’ont peut-être pas clairement analysée mais dont ils comprennent intuitivement la portée. Il n’y a pas de politique macroéconomique dans la politique du gouvernement, qui est d’abord celle du président, médiatisation oblige. Et sans cette dernière, la doctrine purement microéconomique et d’accroissement du profit, prônée par le patronat, qui consiste à réclamer une plus grande « flexibilité » du marché du travail (lire une modération plus efficace des salaires), ne peut produire aucun résultat tangible en matière de croissance.
D’autant plus, et l’on retrouve là le deuxième motif d’impopularité évoqué par le Financial Times, que la médiatisation de la personne du Président a porté dès le départ, et bien avant les épisodes tumultueux de sa vie privée – et de façon beaucoup plus significative politiquement – sur ses relations avec l’argent et les privilégiés de la fortune. Première nuit dans un palace parisien avec les « happy few », puis vacances sur le yacht d’un milliardaire. Le message était extrêmement clair : les relations prioritaires du président consistaient en une étroite imbrication dans les milieux privilégiés. Sur un arrière plan de dégradation continue des performances économiques françaises, et donc du ralentissement, voire de la stagnation, des progrès du niveau de vie moyen, tandis qu’au contraire les profits des grandes entreprises du CAC 40 ne cessaient de progresser, il ne pouvait pas y avoir de façon plus brutale de dire aux Français que leurs problèmes de fin de mois ne concernaient pas le pouvoir. Message confirmé par le discours de janvier qui revenait à leur dire : « je ne peux rien pour vous ».
En somme, élu avec une écrasante majorité par les Français, non pas comme on le dit trop facilement pour « faire des réformes» comme un but en soi, mais pour rétablir la croissance de leur pouvoir d’achat et mettre un terme à la tendance de dégradation continue de leur prospérité relative sous les deux derniers présidents, Nicolas Sarkozy s’empresse d’afficher sa prospérité personnelle et son appartenance au clan des nantis, tout en indiquant aux Français qu’il ne faut rien attendre de sa politique en termes de croissance.
L’explication suffit.
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