Dans son éditorial du New York Times(« A Continent Adrift », 16 mars) Paul Krugman juge la situation de l’Europe plus préoccupante encore que celle des Etats-Unis. Contrairement à beaucoup il ne pense pas que le haut niveau des prélèvements obligatoires de ce coté de l’Atlantique soit un problème. Au contraire, les dépenses des Etats-providence aident à amortir la contraction de la consommation et de l’investissement, constituant ainsi un stabilisateur automatique keynésien de la conjoncture. Il fait ainsi adopter implicitement un jugement - contestable - sur une structure, au nom de l’exigence immédiate de la conjoncture.
La cause de son pessimisme vient, écrit-il, de l’insuffisance des politiques macroéconomiques en Europe, tant monétaires que budgétaires. Les gouvernements européens ne relancent pas suffisamment par les déficits publics d’une part, et d’autre part, la BCE n’a pas assez assoupli une politique monétaire encore trop restrictive. Pour lui l’administration Obama, encore trop timide, a néanmoins fait mieux.
De fait l’économie européenne est en dépression et il s’attend à la voir frôler la déflation pendant plusieurs années.
La faute en est, selon lui, à l’absence d’un gouvernement central pour un espace économique continental aussi intégré que celui des Etats-Unis. Aucun des gouvernements nationaux ne veut pratiquer de déficits qui vont profiter surtout aux voisins européens du fait de la large ouverture entre les économies, et la banque centrale de son coté a bien du mal à concilier les besoins d’économies divergentes, ce qui est incontestablement vrai. Mais on peut se demander alors s’il n’en irait pas exactement de même d’un gouvernement unique qui serait tiraillé entre des demandes contradictoires ...
Krugman cependant passe ce problème sous silence pour insister sur le cas d’un pays comme l’Espagne qui, à l’instar de la Floride, a bénéficié essentiellement d’un extraordinaire boom immobilier dans les dernières années. Du temps des monnaies nationales, il aurait naturellement eu recours à la dévaluation pour amortir le choc de la baisse des prix. Dans le système de l’euro il lui faut maintenant s’astreindre à un exercice particulièrement pénible de réduction des salaires, difficilement supportable sur la durée.
L’euro a-t-il alors été une erreur se demande Krugman (qui a lui-même, dans le passé, été un de ses détracteurs convaincu)? Peut-être, répond-il, mais l’Europe peut encore donner tort aux sceptiques si ses politiciens se mettent d’accord pour mettre en place un gouvernement commun.
Deux observations sur cette analyse :
En premier lieu, Krugman en revient, implicitement, à un argument fondamental de la critique de l’euro, également formulé par Martin Feldstein dès le départ, à savoir qu’une zone monétaire non optimale ne peut survivre que si elle dispose d’un instrument fiscal commun de redistribution des revenus entre les économies composantes, pour compenser l’absence de marges de manœuvre pour différencier les politiques macroéconomiques selon les pays. L’euro ne peut donc survivre durablement sans une centralisation politique accrue et un impôt commun. Mais au lecteur de juger si une telle perspective est réaliste.
En second lieu l’auteur ne se place que dans une perspective de relance keynésienne, supposée massive et très efficace, face à une dépression majeure, hypothèse âprement contestée aux Etats-Unis même, chez ses collègues macroéconomistes. Il néglige ainsi tout le problème européen de la faible croissance et du faible niveau de travail de l’ensemble des pays adeptes de l’Etat-providence bismarckien, chronique au cours des deux ou trois dernières décennies. La conjoncture est certes importante, mais l’essentiel néanmoins c’est la croissance durable.
C’est un problème que les lecteurs de ce blog connaissent bien, qui différencie les performances des Etats-Unis et de l’Europe, et dont ils trouveront une analyse développée dans la prochaine livraison de la revue Commentaire (printemps 2009).
Pour conclure, Krugman remise au placard sa critique précédente et réitérée de l’euro pour donner priorité à ses préférences keynésiennes et ne pas se contredire sur ce point, d’une rive à l’autre de l’Atlantique. Mais il est alors contraint de répéter le credo des partisans inconditionnels de l’euro : notre politique n’a pas réussi jusqu’à présent, il faut donc la renforcer encore et centraliser davantage …
Y a-t-il des spéculateurs de la politique dans la salle ?
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