Lorsqu'on formule, en économie, un avis qui diffère du consensus courant on s'expose évidemment à la question: "mais pouvez-vous avoir raison contre l'opinion de tant de personnes intelligentes et en principe compétentes"? Un bref rappel des erreurs "consensuelles" du passé montre que cela n'a rien d'impossible, tant l'usage raisonné de l'analyse économique théorique est peu répandu, aussi bien dans l'opinion que chez les décideurs politiques.
Je relisais ainsi le numéro 2 (juillet-août 1980) de la Lettre bimestrielle Politique Economique dans laquelle je commentais l'actualité, il y a (déjà) un quart de siècle. Sous le titre "Inflation et libération" j'analysais l'impact de l'abolition du contrôle administratif des prix que venait de décider le gouvernement de Raymon Barre, sur un possible regain de l'inflation:
"La libération des prix engendre-t-elle l'inflation? L'interprétation tend à se répandre. Gilbert Mathieu s'en fait l'écho dans un article récent intitulé ' l'effet libération ' (Le Monde, samedi 12 avril 1980). Selon lui, ' l'inévitable est arrivé: la libération des prix par le gouvernement a considérablement accéléré les hausses ... entraînant l'aggravation de l'inflation habituelle en pareille circonstance '."
Je montrais ensuite que le déroulement chronologique des faits ne correspondait aucunement à l'existence d'un tel effet, aux dates respectives de libération des prix industriels (à l'été 1978), puis des services et des marges commerciales ( progressive au cours de l'année 1979). Je rappelais également que d'après la théorie économique de l'inflation, la libération ne pouvait entraîner qu'un réajustement modeste du niveau des prix, à ne pas confondre avec une augmentation de la tendance inflationniste durable. Pour conclure par le paragraphe suivant:
"L'effet libération appartient donc au domaine des fausses évidences. A l'examen précis des faits, il ne paraît pas compatible avec les dates et les rythmes d'évolution des divers prix. Il passe sous silence l'influence de l'extérieur dans une économie largement ouverte et ne tient pas compte des évolutions semblables constatées chez nos partenaires. Il méconnaît l'expérience passée des contrôles en France. Il est incompatible avec l'analyse rigoureuse des mécanismes économiques".
La suite de l'expérience a abondamment conforté ce jugement. Il paraît aujourd'hui relever lui-même de l'évidence. Et pourtant, l'ensemble du personnel adminstratif et politique de l'époque s'opposait fermement à une telle libération "qui déchaînerait l'inflation".
La conclusion de tout cela? 1) une erreur économique majeure peut être très largement partagée, et 2) La sortie de l'économie administrative se heurte toujours à des intérêts établis fortement enracinés.
Le même genre de scenario s'est répété, en plus grave, deux ans plus tard, avec la politique de nationalisation de 1982 qui allait à l'encontre de toute logique économique, et qu'il a fallu renverser intégralement - et au delà - quelques années plus tard. Pourtant, la plupart des décideurs publics comme privés y étaient soit favorables, soit résignés, et les quelques voix critiques de cette aventure déraisonnable étaient bien isolées dans le microcosme.
Avons-nous progressé depuis? Oui sur ces deux points précis, mais la sortie d'une économie administrative, d'une ampleur encore considérable en France, reste à l'ordre du jour, dans l'éducation et dans la santé par exemple. Il faut donc s'interroger sur ce qui apparaît encore comme de nouvelles évidences, mais qui vont à l'encontre de la logique économique, même minoritaire.
No comments:
Post a Comment