Les annonces inflationnistes qui se multiplient ces derniers temps donnent l’occasion à la Banque centrale européenne de s’auto-féliciter pour sa position constante d’extrême conservatisme monétaire. Mais à vrai dire l’inflation affecte principalement les pays asiatiques ou en voie de développement, plus que les Etats-Unis et bien plus que l’Europe.
La conjoncture de cette dernière reste, de son coté, marquée par la force de l’euro, malgré les dénégations répétées de ceux qui font fi de toute théorie économique pour soutenir que la cherté du change n’a pas d’impact négatif sur la croissance. A l’appui de cette idée déraisonnable la quasi unanimité des commentateurs nous assénaient, il y a quelques semaines encore, l’affirmation selon laquelle la soi-disant performance à l’exportation de l’économie allemande montrait à l’évidence que ce n’était pas la cherté de l’euro qui faisait problème mais, par contraste, l’absence de la trop fameuse « réforme structurelle » en France.
Or aujourd’hui Le Monde (29 mai 2008) finit par se résoudre à constater, dans un article intitulé « Zone euro : tous ensemble vers le ralentissement », que « La faiblesse de l’économie américaine (le bouc émissaire permanent de nos élites pensantes et parlantes, JJR) et la force de l’euro commencent aussi à tarir les sources mêmes de la croissance, investissements et exportations de machines vers l’Europe de l’Est et l’Asie en forte augmentation. De janvier à mars, les exportations allemandes ont progressé moins vite que les importations. La locomotive de l’Europe est en train de caler »
Et de poursuivre : « En mai, l’enquête mensuelle d’activité dans l’industrie et les services s’est inscrite à son niveau le plus bas depuis juillet 2003 ». Un fait à rapprocher du passage de la dépréciation massive de l’euro vis-à-vis du dollar de 1999 à 2002, vers une appréciation non moins massive depuis 2003.
Que de telles variations se produisent en relativement peu de temps, et affectent simultanément tous les pays de la zone, signifie clairement qu’il existe un facteur conjoncturel commun (et non pas structurel, qui par définition ne varierait pas dans des proportions importantes e quelques mois ou peu d’années) et que celui-ci, comme l’enseigne la théorie économique, est très certainement le cours du change.
Néanmoins, l’auteur de l’article conclut par l’hommage traditionnel et obligé à la Banque centrale européenne qui:
« … observe son mandat, qui est de se préoccuper de l’inflation, pas d’un ralentissement économique ».
Ne serait-il pas temps de changer quelque chose à cette constitution monétaire punitive ? D’autant que d’autre part, comme l’a écrit Sebastian Dullien dans le blog Eurozone Watch du 15 mai, « EMU divergence is becoming a mainstream issue ». Selon lui :
« … the underlying divergence in the data is rather frightening. What has for a while been one of the top issues on Eurozone Watch is increasingly taken up by bank analysts: The growing divergence within EMU.
… Exactly those countries which have shown a strong deterioration in their unit labour cost position over the past years … are now showing increasingly weaknesses.
… The interesting question is now for how long the slump for the Southern countries will last. …. These countries can count at at least half a decade, possibly more, of weak growth, growing social disparities and possibly growing political discontent with the European project”.
Comme le savent les lecteurs de mon article de juin 2002 “Les promesses de l’Euro: Tout était faux” (téléchargeable sur mon site, http://www.jjrosa.com), ou de mon livre de 1998, je n’aurais pu mieux dire.
On comprend dans ces conditions que l’éditorialiste du Financial Times, Martin Wolf, écrive ce même jour : « Britain is better off outside the euro », article qui ne peut manquer de refléter le sentiment dominant à la City. Et plusieurs passages méritent d’être cités :
« Finally, there is no evidence that being outside the eurozone has imposed a performance penalty upon the UK economy. Between the first quarter of 1999 and the first quarter of 2008, its economy expanded by 28 percent, against 21 percent in the eurozone as a whole and 16 percent in Germany… there is no evidence that Emu has improved the economic dynamism of its members. If anything, membership seems to have reduced the pressures for reform. … remaining outside the euro preserves the safety valve of currency flexibility, while losing nothing in aggregate economic performance. Being outside has not even hurt London’s position as a financial centre.
… Inside a currency union, years of slow growth will occasionally be needed if relative costs are to come back into line”.
La leçon à tirer de cette ouverture progressive des esprits à la réalité des faits est intéressante. Le raisonnement économique de base, correctement utilisé, permettait de prévoir tout cela dès le milieu des années 90. Mais la plupart des observateurs, et plus encore des acteurs politiques, ne croient pas à l’existence d’une science économique (comme beaucoup d’économistes d’ailleurs). Ils l’apprennent aujourd’hui sur le tas, par l’expérience. Mais à quel coût.
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