Dans le feuilleton grec une chose est certaine : selon les
critères des zones monétaires optimales (qui ont largement démontré leur
validité dans l’explication du réel au cours des dernières années) la Grèce ne
peut faire partie de la même zone monétaire que l’Allemagne. Et comme l’euro
était jusqu’ici défini comme un DM bis la Grèce ne peut donc faire partie de la
zone euro. Elle n’aurait jamais dû y être admise en premier lieu, ce que
reconnaissent volontiers, avec une parfaite inconséquence logique, ceux qui en
même temps nous assurent qu’il ne saurait être question que la même Grèce
puisse reprendre son indépendance monétaire.
En réalité dans la mesure où il est totalement exclu que l’économie
grecque puisse se muer en une sorte de clone de l’économie allemande, même en y
consacrant beaucoup de temps et d’efforts, il n’y a aucun autre moyen pour la
Grèce de retrouver la voie de la prospérité que de sortir au plus vite de
l’euro, quitte à faire défaut partiellement ou totalement sur ses dettes en
euros détenues par les banquiers français et allemands ainsi que par la BCE.
Une nouvelle drachme qui serait dévaluée dès les premières semaines de
quelques 30 à 50% par rapport à une parité de définition initiale vis-à-vis de
l’euro et du dollar, rendrait aux industries touristiques et pétrolières
hellènes leur compétitivité perdue. Mais se poserait bien entendu la question
de savoir quelles sanctions les marchés financiers extérieurs appliqueraient
alors à l’emprunteur défaillant. Là est le nœud du problème et c’est ce qui
pourrait empêcher une Grèce défaillante de retrouver la prospérité. C’est aussi
ce qui empêche aujourd’hui le gouvernement grec de choisir la sortie de l’euro
par crainte de difficultés financières inextricables dans un proche avenir.
Certes il apparaît que l’opinion publique grecque souhaite conserver
l’euro, sans doute comme gage de son appartenance étroite au cercle interne le
plus restreint de l’Union Européenne, tant est grande la défiance à l’égard du
voisin turc. Mais il est tout aussi clair qu’il n’est pas et ne sera pas
possible à l’avenir de donner simultanément satisfaction à l’aspiration
légitime du peuple grec de retrouver la prospérité et à son aspiration à conserver
l’euro comme monnaie nationale. Le jeu du gouvernement Tsipras consiste alors à
démontrer à ses électeurs que ce sont les créanciers du nord de l’Europe,
alliés au FMI, qui en refusant de consentir de nouvelles facilités de paiement
et de crédit obligent le pays à quitter l’euro, contre son grès. Le
gouvernement grec espère ainsi revenir sur son engagement de rester dans l’euro
sans pour autant subir la sanction que risquent de lui infliger les électeurs.
De son coté le gouvernement de Mme Merkel, chef de file des créanciers
et donc de la rigueur comptable, qui n’est pas illégitime, sait très bien que
ses électeurs ne veulent à aucun prix s’engager dans la voie d’une Europe
fédérale qui impliquerait des transferts permanents à perte de vue pour les
pays d’Europe du sud, à la façon de ce que fait l’Italie du Nord pour le
Mezzogiorno ou encore l’Allemagne de l’ouest pour les Länders de l’est. Ces
transferts sont des soins palliatifs mais ils ne soignent pas utilement le
problème sous-jacent de l’inégalité du développement économique. Il s’ensuit que
rationnellement, tant le gouvernement Tsipras que le gouvernement Merkel sont
en réalité d’accord pour un Grexit, une sortie de la Grèce de l’euro. Mais
chacun tente de faire porter à l’autre toute la responsabilité de la rupture,
pour des raisons électorales : M. Tsipras parce qu’il a promis à ses
électeurs de rester dans l’euro et Mme Merkel parce qu’elle a promis aux siens
de ne plus accorder la moindre aide à fonds perdus à une Grèce décrite comme
« parasitaire ».
L’euro est bien la pomme de discorde qui, au lieu de favorise une
« union toujours plus proche » entre les pays membres de la zone
pousse progressivement à un éclatement de l’Union Européenne comme l’avait
parfaitement prévu l’économiste Martin Feldstein dès 1992.
Peut-on alors imaginer une solution qui puisse à la fois permettre aux
deux gouvernements antagonistes d’appliquer la politique qu’ils souhaitent tout
en substituant une réelle solidarité européenne au conflit actuel destructeur
de l’Union. C’est à mon sens une question d’incitations positives. L’analyse
économique et la rationalité ne laissent pas d’ambiguïté sur l’issue :
c’est le Grexit qui doit s’imposer. Pour l’obtenir par accord entre les deux
protagonistes plutôt que par recours au bras de fer dans lequel chacun tente de
faire porter à l’autre toute la responsabilité de cette issue nécessaire, il
faut que l’Allemagne rende la sortie grecque à la fois honorable et non
toxique. Elle peut le faire en partant du constat d’impossibilité de sauver
l’économie grecque sans la doter d’une monnaie indépendante et adaptée à ses
besoins, économiques comme politiques. Mais elle doit rendre cette sortie plus
attractive en prévoyant une aide financière non plus en cas de maintien de la
Grèce dans le carcan de l’euro mais au contraire en cas de sortie. Ce devrait
être un nouveau plan Marshall assorti de crédits renouvelés, pour un temps
limité, qui seraient consentis à la Grèce et à sa nouvelle monnaie, en liaison
avec la BCE pilotée par M. Draghi dans le même sens. Et de son coté le
gouvernement grec doit tenir, dans ces conditions, un langage de vérité à ses
électeurs en leur expliquant que le retour à la croissance est possible et
qu’il sera soutenu par les autres européens, mais au prix d’une sortie de
l’euro qui ne signifie pas pour autant la sortie de l’Union européenne, bien au
contraire. Les résultats positifs d’une telle sortie assortie d’une dévaluation
substantielle, d’un effacement partiel de sa dette en euros et d’une nouvelle
aide des autres européens devrait entraîner des résultats encourageants en
termes de croissance à horizons de quelques mois, ce qui suffirait certainement
à rallier la plupart des électeurs hellènes à cette nouvelle donne.
Au lieu d’aller droit à la crise par confrontation de deux
gouvernements qui sont au fond d’accord sur la seule solution possible, un
accord constructif de solidarité européenne permettrait à la fois de satisfaire
les aspirations toutes deux légitimes du peuple allemand et du peuple grec.
Mais il faut pour cela un peu plus de réalisme et de hauteur de vues
tant à Athènes qu’à Berlin et à Francfort.
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