La plupart des idées couramment exprimées concernant les terroristes et les raisons pour lesquelles ils veulent nous détruire, reposent sur des conceptions erronées et alimentent la désinformation. Beaucoup d’hommes politiques et d’observateurs de ces questions ont soutenu que la pauvreté et le manque de formation de populations démunies sont à la source du terrorisme, en dépit de toutes les données disponibles qui montrent que la plupart des terroristes sont issus de la classe moyenne et ont souvent des diplômes de l’enseignement supérieur. Dans ce petit livre à la fois très riche, argumenté, et étayé par des données quantitatives très révélatrices, Alan B. Krueger, professeur d’économie et de politiques publiques à Princeton soutient que si nous voulons réussir à diagnostiquer les causes du terrorisme et à mettre en place des ripostes efficaces nous devons penser le problème en empruntant le raisonnement des économistes.
Spécialiste des questions sociales controversées, comme par exemple les effets du salaire minimum et de l’éducation sur le crimes « de haine », l’auteur examine les facteurs qui poussent certains individus à se lancer dans une action terroriste, en s’appuyant sur l’analyse des caractéristiques personnelles et sociales des terroristes ainsi que des conditions économiques, sociales et politiques des sociétés dont ils sont originaires. Il recense les pays dont viennent le plus fréquemment les terroristes, et ceux qui ont la plus forte probabilité de devenir leur cible. En passant en revue les conséquences économiques et psychologiques du terrorisme il contribue à mettre en perspective le phénomène, et son impact le plus souvent limité sur nos sociétés. Son analyse économique des conditions spécifiques qui favorisent les choix des terroristes (à partir de tel pays et contre telle ou telle cible) viennent ainsi compléter les analyses économiques des conditions générales qui font de notre époque une période d’intensification des activités terroristes de toutes sortes (Voir sur ce point mon article « Fractionnalisation et terrorismes : la perspective organisationnelle » dans le n°1, juillet-septembre 2007, des Cahiers de la Sécurité, qui figure également sur mon site http://www.jjrosa.com/).
Ce petit livre, qui se lit très aisément, se structure ainsi en trois chapitres qui sont respectivement consacrés aux caractéristiques des terroristes, aux pays d’origine et aux pays cibles, et enfin à l’évaluation des conséquences. L’auteur définit le terrorisme comme une tactique d’action violente faisant partie d’une catégorie de criminalité qui englobe également les crimes « de haine » (contre des groupes ou individus singularisés par leur religion, leur race, ou leur ethnie) qu’il a préalablement étudiés en profondeur. Il montre par exemple que ces derniers, dans l’Allemagne contemporaine, ne sont pas particulièrement liés au niveau du chômage ou de la pauvreté. De même les terroristes du Moyen-Orient, par exemple ceux du Hezbollah qui ont été abattus au Liban, ne viennent d’un milieu social défavorisé que pour un peu plus d’un quart d’entre eux, proportion notablement inférieure à celle touchée par la pauvreté dans l’ensemble de la population libanaise. Et si leur âge est plus souvent compris entre 18 et 25 ans ils bénéficient d’une formation primaire, secondaire et supérieure qui est équivalente à, et parfois plus élevée que, celle de la population dans son ensemble. Dans une analyse économétrique plus sophistiquée il apparaît que l’école secondaire joue un rôle positif sur l’enrôlement dans le Hezbollah tandis que la pauvreté réduit au contraire la probabilité d’une telle participation. Confirmée par d’autres études du même genre portant sur d’autres organisations et d’autres pays, cette analyse aboutit à la conclusion que les adhérents à des organisations terroristes appartiennent plutôt à des catégories aisées et bien éduquées de la population. Les individus moins favorisés sont davantage concernés par leurs propres problèmes matériels immédiats plutôt que par des considérations idéologiques et politiques, et d’autre part, les organisations terroristes préfèrent recruter les individus les plus compétents. Ce n’est pas la pauvreté qui cause le terrorisme.
Bien que les données sur la répartition géographique du terrorisme soient globalement insuffisantes, il apparaît que la plupart du temps (dans 88% des cas) les actes terroristes interviennent dans le pays d’origine des agresseurs. Le terrorisme « international » est, en réalité, essentiellement local. Le cas du 11 septembre est donc tout à fait atypique. Et bien que dans 62 % des agressions les religions des agresseurs et celles des victimes soient différentes, la probabilité que deux personnes tirées au hasard dans le monde soient de deux religions différentes est de 77%, ce qui signifie que les actes terroristes ne sont pas particulièrement polarisés par des considérations religieuses.
Une analyse des pays d’origine et de destination montre que les principaux pays d’origine des terroristes se distinguent par l’importance de leur population, la faiblesse des droits politiques, et le peu de distance par rapport aux pays cibles. Pour ces derniers les caractéristiques les plus déterminantes sont le niveau de revenu par tête et des libertés civiles, ainsi que le volume de leur population, leur statut d’occupant d’un autre pays, tandis que la distance par rapport aux pays d’origine réduit pour eux la probabilité de devenir une cible.
Cependant, la relative rareté des données devrait inciter les responsables de la lutte anti-terroriste à concentrer leurs efforts sur la connaissance statistique du phénomène s’ils veulent améliorer l’efficacité de leurs actions.
S’agissant enfin des effets du terrorisme, l’auteur conclut plutôt à la faiblesse des conséquences économiques, de façon moins certaine à des effets psychologiques réels, tenant peut-être principalement à l’incompréhension du phénomène qui est source de crainte diffuse, et à des effets politiques assez bien documentés en termes électoraux (comme l’illustre par exemple le cas en Espagne du Parti Populaire après les attentats de 2004), ce qui n’est pas très étonnant si l’on considère que le terrorisme est une criminalité à but affiché principalement politique.
Le lecteur de cet intéressant ouvrage finira probablement sa lecture en ayant sensiblement changé sa perception du phénomène étudié, ce qui, somme toute, n’est pas si fréquent et ouvre certainement la voie à une meilleure définition des politiques publiques.
Alan B. Krueger.
What Makes a Terrorist. Economics and the Roots of Terrorism.
Princeton University Press, 2007. 180 p.
Thursday, February 21, 2008
Friday, February 15, 2008
L'euro et la concurrence bancaire
Jean-Louis Caccomo, le postulat libéral et la nature de l’Union européenne.
Dans son blog du 12 février 2008, J.-L. Caccomo déplore l’intervention de l’Etat dans l’affaire de la Société Générale. Le respect des règles de la zone euro suppose, selon lui, le libre jeu de la concurrence entre les banques, et non pas l’intervention de l’Etat qui fausse la concurrence.
Mais le postulat est erroné : la création de l’euro ne correspond pas à la poursuite d’une politique libérale. Pour cela il n’est besoin ni d’une monnaie centrale, ni a fortiori d’une banque centrale supplémentaire, ni de la suppression d’un prix librement fixé sur des marchés comme peut l’être un taux de change flexible, remplacé en l’occurrence par un système de prix inter monnaies définitivement fixés au sein de la zone.
La création d’une monnaie unique, et d’une banque centrale commune, correspond à une politique de gestion d’un cartel financier au niveau de l’Europe. On sait que les banques centrales ont pour rôle, entre autres, de gérer au mieux les intérêts du secteur bancaire. Quand celui-ci cherche à établir ou maintenir des accords de prix non concurrentiels pour maximiser les profits, le fait de ne pas avoir à compter avec des changes fluctuants, qui rendent plus difficiles les comparaisons de prix entre concurrents appartenant à différentes nations, constitue un avantage certain : il devient plus facile de surveiller plus étroitement le « pricing » des autres et de s’assurer qu’il ne dévie pas par rapport aux accords communs. Bien des années après « l’Acte unique » et malgré les directives sur la libre prestation de services, la concurrence bancaire en Europe reste toujours bridée, comme le constate périodiquement la Commission de Bruxelles.
En particulier en ce qui concerne les OPA qui constituent un élément important du mécanisme de mise en œuvre de la concurrence entre les firmes, et donc entre les banques (souvenons-nous des péripéties italiennes récentes). Les encadrer ou les empêcher permet donc de réduire la concurrence. Le gouvernement contrevient ainsi aux conditions premières d’une politique de concurrence dans le secteur bancaire. Mais ce faisant, s’il s’oppose à la lettre de la politique européenne de la concurrence, il ne fait que renforcer le dispositif anti-concurrentiel bien réel de l’euro et de la BCE.
Selon les libéraux partisans de l’euro, plus de concurrence ne pouvait s’imposer à la France que par la volonté de Bruxelles. C’est sans doute vrai pour les grands monopoles publics qui sont désormais en partie soumis à concurrence. Mais nul besoin d’une monnaie unique pour cela, ni d’une centralisation continentale de la fonction de régulateur des marchés. Si cela a été fait en matière monétaire et financière, de façon exceptionnelle, c’est pour défendre et reconstituer au niveau d’un continent, de façon plus efficace, une cartellisation menacée au niveau de chaque nation par l’ouverture internationale des marchés de capitaux.
Dans son blog du 12 février 2008, J.-L. Caccomo déplore l’intervention de l’Etat dans l’affaire de la Société Générale. Le respect des règles de la zone euro suppose, selon lui, le libre jeu de la concurrence entre les banques, et non pas l’intervention de l’Etat qui fausse la concurrence.
Mais le postulat est erroné : la création de l’euro ne correspond pas à la poursuite d’une politique libérale. Pour cela il n’est besoin ni d’une monnaie centrale, ni a fortiori d’une banque centrale supplémentaire, ni de la suppression d’un prix librement fixé sur des marchés comme peut l’être un taux de change flexible, remplacé en l’occurrence par un système de prix inter monnaies définitivement fixés au sein de la zone.
La création d’une monnaie unique, et d’une banque centrale commune, correspond à une politique de gestion d’un cartel financier au niveau de l’Europe. On sait que les banques centrales ont pour rôle, entre autres, de gérer au mieux les intérêts du secteur bancaire. Quand celui-ci cherche à établir ou maintenir des accords de prix non concurrentiels pour maximiser les profits, le fait de ne pas avoir à compter avec des changes fluctuants, qui rendent plus difficiles les comparaisons de prix entre concurrents appartenant à différentes nations, constitue un avantage certain : il devient plus facile de surveiller plus étroitement le « pricing » des autres et de s’assurer qu’il ne dévie pas par rapport aux accords communs. Bien des années après « l’Acte unique » et malgré les directives sur la libre prestation de services, la concurrence bancaire en Europe reste toujours bridée, comme le constate périodiquement la Commission de Bruxelles.
En particulier en ce qui concerne les OPA qui constituent un élément important du mécanisme de mise en œuvre de la concurrence entre les firmes, et donc entre les banques (souvenons-nous des péripéties italiennes récentes). Les encadrer ou les empêcher permet donc de réduire la concurrence. Le gouvernement contrevient ainsi aux conditions premières d’une politique de concurrence dans le secteur bancaire. Mais ce faisant, s’il s’oppose à la lettre de la politique européenne de la concurrence, il ne fait que renforcer le dispositif anti-concurrentiel bien réel de l’euro et de la BCE.
Selon les libéraux partisans de l’euro, plus de concurrence ne pouvait s’imposer à la France que par la volonté de Bruxelles. C’est sans doute vrai pour les grands monopoles publics qui sont désormais en partie soumis à concurrence. Mais nul besoin d’une monnaie unique pour cela, ni d’une centralisation continentale de la fonction de régulateur des marchés. Si cela a été fait en matière monétaire et financière, de façon exceptionnelle, c’est pour défendre et reconstituer au niveau d’un continent, de façon plus efficace, une cartellisation menacée au niveau de chaque nation par l’ouverture internationale des marchés de capitaux.
The Second XXth Century on Amazon.com
Here is what some readers wrote about the book on Amazon.com.
H. E. Frech III.
The collapse of socialism and centralization is the most important and surprising development of the late 20th Century. The more-or-less authoritarian, state-directed form of organization was once considered the only modern, practical approach. Now, it seems quaint. Rosa provides a sweeping explanation of this and the closely related resurgence of democracy and political decentralization, based on the transaction costs analysis of Nobelist Ronald Coase. This analysis is now a staple of applied economics, especially in the field of industrial organization. But Rosa’s application is new. The idea is simple and powerful: advances in communicating and computing reduced the transaction costs of producing and governing with smaller decentralized units, relating through market. Big-picture economic thinking at its best, this book gives the best available explanation of the most important development in the last 50 years. I strongly recommend it.
A reader, Toronto.
“In short: this book documents the evolution, during the twentieth century, of the delicate balance between hierarchies and markets, the key premise being that business and governments face similar organizational challenges. They have to adapt over time. For instance, large, centralized organizations have truly become obsolete.
The same economic analysis employed by managerial economists to understand firms, multinationals and market structures is used here to understand other organizations, such as states, governments and democracies. In particular, Rosa shows the parallel developments of markets and individual rights.
The Information Revolution plays a crucial role here. Of course, books about the consequences of the Information Age are not new. “The Sovereign Individual: Mastering the Transition to the Information Age” (Davidson and Rees-Mogg, 1999) is just one of several noteworthy predecessors. However, Rosa’s book is much more than an economic history book with a technological determinism flavor to it. It uses economic analysis to show how the declining cost of information has affected and continues to affect the optimal sizes of firms and states, and the nature of hierarchies.
This is an excellent read, full of intriguing insights and examples, geared towards the intellectually curious. There is also a fine presentation of a few subjects that will be useful to the average stock market investor: the trend towards downsizing, the decreasing optimal size of companies, and an explanation of the consequences of the M&A vogue (See his chapter 5).
Highly recommended.”
Book description (Hoover Press).
“The worldwide wave of democratization and the nearly total disappearance of communism at the end of the twentieth century were major economic and political changes of our time. These earth-shaking changes lead us to raise the question, Why now? Why did these developments occur as they did, when they did? In this book, Jean-Jacques Rosa offers an analysis of the “grand cycle” in social organization of the twentieth-century. He shows how the transformation in communication and information technology has led to the downfall of twentieth-century political and corporate hierarchies and is a driving force behind today’s democratic free-market trend.
The author reveals the universal contemporary consequences, both good and bad, of the information technology revolution. He explains how it is bringing relentless corporation downsizing and shrinking bureaucratic government structures but will also continue to be a factor in the rise of terrorism and secessionist and regionalist movements around the world. Rosa also brings an important historical perspective to current developments, explaining why democracy was abandoned by nearly every country in the world between the 1920s and 1960s and why totalitarian regimes prospered in the 1950s but began to rapidly fall behind democracies in the 1980s.
Jean-Jacques Rosa’s detailed economic, organizational and technical analysis presents a captivating insight into the history, politics, and ideology of corporations and nation-states at the beginning of the twenty-first century.”
H. E. Frech III.
The collapse of socialism and centralization is the most important and surprising development of the late 20th Century. The more-or-less authoritarian, state-directed form of organization was once considered the only modern, practical approach. Now, it seems quaint. Rosa provides a sweeping explanation of this and the closely related resurgence of democracy and political decentralization, based on the transaction costs analysis of Nobelist Ronald Coase. This analysis is now a staple of applied economics, especially in the field of industrial organization. But Rosa’s application is new. The idea is simple and powerful: advances in communicating and computing reduced the transaction costs of producing and governing with smaller decentralized units, relating through market. Big-picture economic thinking at its best, this book gives the best available explanation of the most important development in the last 50 years. I strongly recommend it.
A reader, Toronto.
“In short: this book documents the evolution, during the twentieth century, of the delicate balance between hierarchies and markets, the key premise being that business and governments face similar organizational challenges. They have to adapt over time. For instance, large, centralized organizations have truly become obsolete.
The same economic analysis employed by managerial economists to understand firms, multinationals and market structures is used here to understand other organizations, such as states, governments and democracies. In particular, Rosa shows the parallel developments of markets and individual rights.
The Information Revolution plays a crucial role here. Of course, books about the consequences of the Information Age are not new. “The Sovereign Individual: Mastering the Transition to the Information Age” (Davidson and Rees-Mogg, 1999) is just one of several noteworthy predecessors. However, Rosa’s book is much more than an economic history book with a technological determinism flavor to it. It uses economic analysis to show how the declining cost of information has affected and continues to affect the optimal sizes of firms and states, and the nature of hierarchies.
This is an excellent read, full of intriguing insights and examples, geared towards the intellectually curious. There is also a fine presentation of a few subjects that will be useful to the average stock market investor: the trend towards downsizing, the decreasing optimal size of companies, and an explanation of the consequences of the M&A vogue (See his chapter 5).
Highly recommended.”
Book description (Hoover Press).
“The worldwide wave of democratization and the nearly total disappearance of communism at the end of the twentieth century were major economic and political changes of our time. These earth-shaking changes lead us to raise the question, Why now? Why did these developments occur as they did, when they did? In this book, Jean-Jacques Rosa offers an analysis of the “grand cycle” in social organization of the twentieth-century. He shows how the transformation in communication and information technology has led to the downfall of twentieth-century political and corporate hierarchies and is a driving force behind today’s democratic free-market trend.
The author reveals the universal contemporary consequences, both good and bad, of the information technology revolution. He explains how it is bringing relentless corporation downsizing and shrinking bureaucratic government structures but will also continue to be a factor in the rise of terrorism and secessionist and regionalist movements around the world. Rosa also brings an important historical perspective to current developments, explaining why democracy was abandoned by nearly every country in the world between the 1920s and 1960s and why totalitarian regimes prospered in the 1950s but began to rapidly fall behind democracies in the 1980s.
Jean-Jacques Rosa’s detailed economic, organizational and technical analysis presents a captivating insight into the history, politics, and ideology of corporations and nation-states at the beginning of the twenty-first century.”
Subscribe to:
Posts (Atom)