Le président français a tout à fait raison de dénoncer la politique des taux d’intérêt de la banque centrale européenne, et sa conséquence inéluctable, la surévaluation de l’euro, qui plombe les croissances européennes et dévaste les bourses de valeurs du continent.
Mais même s’il obtenait satisfaction, c’est-à-dire une politique monétaire européenne plus raisonnable qui réduirait les taux, déprécierait l’euro face au dollar, et contribuerait ainsi à libérer - en partie - l’activité économique dans la zone, cela ne constituerait pas une solution complète du problème ouest européen.
La surévaluation des monnaies, en effet, ne concerne pas seulement l’ensemble des pays européens par rapport au dollar. L’euro a figé les rapports de change intra-européens au niveau de ce qu’ils étaient en 1999, par la substitution d’une monnaie unique aux devises nationales de l’époque. Or les taux d’inflation et les coûts salariaux ont divergé sauvagement depuis cette date, à l’intérieur même de l’Union. Ce qui aurait justifié, en tout état de cause, une modification substantielle des parités entre disons le franc, la lire, le deutsche mark, et la peseta, dans un système de parités de change flexibles, c’est-à-dire autorisant le retour à l’équilibre. Mais l’euro interdit justement cette évolution vers l’équilibre, pour le plus grand profit de l’économie allemande, qui est ainsi protégée en permanence contre les dévaluations « compétitives » des pays du « Club Med » qui ont, structurellement, des taux d’inflation d’équilibre plus élevés que le germanique.
Faut-il s’étonner alors de ce que les exportations allemandes continuent, bon an mal an, de se développer alors que l’Italie, l’Espagne et la France (à un moindre degré) souffrent d’un handicap structurel de leur commerce extérieur résultant de l’accroissement, année après année, de la surévaluation cumulative de leur change par rapport au « deutsche mark implicite » qui est inclus dans la devise commune qu’est l’euro ?
C’est ce que commencent à comprendre les responsables politiques comme M. Sarkozy, mais de façon encore floue et très incomplète. Faire baisser l’euro par rapport au dollar est certes indispensable, mais cela ne résoudra pas le problème des échanges intra-européens qui continueront à être fondamentalement biaisés en faveur de l’Allemagne. Un pays qui, pour des raisons diverses, maintient étroitement sous contrôle l’évolution de ses salaires, peut se permettre de jouer la carte de l’austérité monétaire et de la politique de change la plus conservatrice, pour le plus grand profit de ses banques et de ses industriels. Mais les autres ne le peuvent pas. C’est pourquoi la politique ultra-conservatrice de la Bundesbank, transposée telle quelle à la Banque centrale européenne par le traité fondateur, est une catastrophe pour les pays du « club méditerranée ».
La réaction d’un homme politique qui subit directement, dans sa cote de popularité, le contrecoup des difficultés économiques majeures qui résultent de cette politique déloyale, est alors facile à prévoir. Il va dénoncer les destructions que le commerce extérieur déséquilibré inflige à l’économie nationale.
Comme toujours, un problème complexe, difficile, et majeur admet une solution simple, facile à comprendre, et … fausse : en l’occurrence le protectionnisme. Puisque le commerce extérieur pénalise les économies de l’Europe du sud, alors il faut « protéger » les citoyens de ces pays par l’érection de barrières douanières continentales de façon à réduire les importations en provenance des pays tiers (et en particulier des pays de l’ancien « tiers monde», aujourd’hui «émergents »). C’est simple en effet, mais cela ne réduira pas les importations en provenance d’Allemagne qui sont subventionnées en permanence par des taux de change implicites de l’euro qui jouent au seul profit de l’Allemagne. Or les échanges intra-européens sont, de loin, les plus importants dans nos échanges extérieurs, très loin devant le commerce avec l’Asie par exemple.
Si la solution « politique » l’emporte ainsi, nous aurons cumulé tous les handicaps : des taux de change intra européens défiant tout équilibre et assurant la domination économique durable de l’Allemagne sur ses « partenaires », d’une part, et la contraction générale de l’activité économique par un regain de protectionnisme qui écartera durablement toute chance de reprise soutenue de l’activité économique du continent dans son ensemble, d’autre part.
Il serait plus raisonnable de faire (enfin !) un peu d’économie réaliste à la place de la pure politique, et de remettre en cause non pas la seule gestion (excessivement conservatrice il est vrai) de la banque centrale européenne, mais l’existence même de l’euro qui est la vraie source de nos difficultés commerciales.
On y viendra nécessairement, mais quand ?